L
'INGENIUM
CHEZ GRACIAN ET VICO
Rapprocher la pensée de B. Gracian et de G. B. Vico implique de fai-
re un constat paradoxal: à la fois l’extrème proximité historique et
conceptuelle des deux philosophes, mais aussi - et de manière étonnante
- l’absence d ’études suivies faisant état de cette proximité1. Extrème
proximité dans un premier temps: celle-ci peut ètre constatée à plusieurs
niveaux. D ’une part, Gracian et Vico ont eu des fonctions analogues.
Gracian fut un prédicateur à succès, mettant la rhétorique au coeur de
sa pensée et Vico fut, pour sa part, professeur de rhétorique à l’Univer-
sité de Naples. Cette proximité peut se constater facilement dans des
textes comme
YAgudeza y arte de ingenio2
ou les
Institutiones oratoriae,
qui peuvent étre comparés traits à traits, dans leur but comme dans leur
construction. Proximité, d’autre part, dans l’histoire des idées: il est en
ce sens remarquable de voir que le qualificatif de «baroque» est aussi
bien utilisé pour qualifier Vico que Gracian3. Mais au-delà de ce quali­
ficatif qui relie les deux auteurs dans le regard rétrospectif de la critique,
on peut constater des références communes. Sans qu’il soit ici question
d ’un repérage exhaustif de telles références, nous pouvons citer en par-
ticulier le traité de Matteo Peregrini,
Delle acutezze
(1639), traité
contemporain de
YAgudeza
et qui aura également une forte influence
chez Vico4. Bien naturellement, il est possible de compléter une telle lis­
1 On trouve cependant des rapprochements intéressants chez certains critiques, en par-
ticulier chez E. Hidalgo-Sema, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir au cours de ce
travail. Des remarques suggestives sont également développées par E
BOTTURI,
La sapienza
della storia. Vico e lafilosofia pratica
, Milano, 1991, pp. 106 ss. D ’un point de vue esthétique,
on trouve également des remarques intéressantes dans l’étude de
G . P
atella
,
Senso, corpo,
poesia. Giambattista Vico e l'origine dell’estetica moderna,
Milano, 1995.
2
Notée à partir de maintenant
Agudeza.
3 Pour Gracian, voir entre autres les analyses de
J.
A.
M
aravall
,
La Cultura del Rarroco,
Barcelona-Caracas-México, 1980 [1975
], passim.
Pour Vico, cet adjectif revient également de
manière continuelle: voir par exemple les belles remarques de B.
D
e
GIOVANNI,
Vico baroque,
in «Critique», 1985, 452-453, pp. 163-180. Plus généralement, voir B.
CROCE,
Storia dell’età
barocca in Italia,
Bari, 1946.
4 Dans ses
Institutiones oratoriae,
Vico qualifie le traité de Peregrini de la sorte: «in aureo
De Acutis dictis
Libello»
(Institutiones oratoriae
[notée
Inst.],
a cura d iG . Crifò, Napoli, 1989,
1...,93,94,95,96,97,98,99,100,101,102 104,105,106,107,108,109,110,111,112,113,...305