VINGENIUM CHEZ GRACIAN ET VICO
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phique, historique, juridique dans un style poétique désarmant lors d ’une
première lecture9.
Cela dit, malgré ces éléments de rapprochement multiples, peu
d ’études confrontent directement Vico et Graciàn. Concernant la cri-
tique sur Graciàn, il n’est presque jamais fait référence à Vico. Les spé-
cialistes de Vico restent eux-aussi le plus souvent muets sur un tei rap­
prochement, situation étrange10qui peut ètre en partie expliquée par le
fait que Vico, à notre connaissance, ne cite jamais directement Graciàn.
En revanche, cette absence de confrontation directe est compensée par
une étonnante égalité de traitement des deux auteurs par les mèmes cri-
tiques. Cette perspective est à souligner dans la mesure où elle concer­
ne aussi bien ceux qui sont critiques envers Graciàn et Vico que ceux
qui, au contraire, voient en eux une forme de pensée nouvelle et origi­
nale. D ’un point de vue critique, l’approche des deux auteurs par Bene­
detto Croce est ici particulièrement intéressante. En effet, ce que Croce
critique chez Graciàn11 renvoie avant tout à l’absence de systématicité
de sa pensée. Ainsi, à la différence du
Cannocchiale aristotelico
d’Ema-
nuele Tesauro, que Croce apprécie, les divisions de
YAgudeza
ne seraient
que «arbitrarie e confusionarie», cette oeuvre se limitant somme toute à
multiplier les digressions et les incohérences. Il ne s’agirait donc pas, sur
l’exemple précis de
YAgudeza,
d ’un «libro di vera e propria teoria». Du
reste, Croce se montre complètement imperméable et insensible à la
langue de Graciàn et aux niveaux rhétoriques complexes de ses textes.
Ce qui est intéressant, c’est que Croce reprend presque terme à terme la
méme critique pour aborder la pensée de Vico. Certes, sa monographie
sur Vico12est beaucoup plus solide que sa lecture de Graciàn, mais la to-
nalité de la critique reste la mème: ce qui est souligné renvoie à nouveau
9 II est d ’ailleurs en ce sens remarquable de voir que les critiques que Fon a pu adresser
à Amelot de la Houssaie et Michelet, traducteurs respectifs de Graciàn et de Vico, sont ana-
logues: à chaque fois, on leur reproche de donner en fran^ais une version lissée et simplifiée
du texte originai, qui ne tient pas compte de ses aspérités et de ses difficultés propres.
10 On peut souligner ce manque dans la critique en rappelant qu’il existe en Espagne, à
l’Université de Séville, un centre d ’études sur Vico, dirigé parJ. M. Sevilla Fernàndez, qui pu-
blie depuis une dizaine d ’année une revue annuelle remarquable («Cuadernos sobre Vico»)
consacrée aux études vichiennes, et en particulier au rapport entre Vico et la culture espa-
gnole. Or, il n’existe, à notre connaissance, aucune confrontation directe entre Vico et G ra­
ciàn développée dans cette revue. Le plus souvent, les rapprochements se font de biais et de
manière allusive.
11 Cfr. B.
C
ro ce
,
l trattatisti italiani del Concettismo e B. Graciàn
[1899], in Id.,
Proble­
mi di estetica e contributi alla storia deliestetica italiana,
Bari, 1940. Pour une analyse de la
lecture de Graciàn par Croce, voir les rcmarques de E.
H
idalgo
-S
erna
,
in
Elpensamiento
ingenioso en Baltasar Graciàn,
Barcelona, 1993 [1985], pp. 54-55,141.
12 B.
C
ro ce
,
La filosofia di Giambattista Vico,
Bari, 1911.
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