L INGENIUM CI IEZ C;KACIAN ET VICO
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meri e di spezie algebraiche»27. Aussi bien pour Gracian que pour Vico,
le monde ne peut ètre réduit immédiatement et mécaniquement aux ca-
tégories de l’entendement. Pour y accèder, il faut un travail patient de
déchiffrage mis en oeuvre chez nos deux auteurs.
Face à une réalité complexe et insaisissable, Gracian et Vico adop
tent des méthodes fondées sur le risque et l’expérience. On ne peut plus
se contenter des concepts figés hérités du cartésianisme. Tenter de rendre
compte du monde implique au contraire une plongée dans l’inconnu,
«in cose dette
‘nullius'»2*,
qu’aucune méthode ne permet d ’aborder
a
priori.
On trouve chez Gracian comme chez Vico cette incertitude de la
méthode, qui est aussi bien une méthode en train de se chercher, de se
pratiquer, en pieine expérimentation. Ainsi, alors que la pensée carté-
sienne ne cesse de souligner la simplicité et l’efficacité de sa méthode,
nos deux auteurs insistent au contraire sur les difficultés rencontrées. Par
exemple, Vico insiste à maintes reprises sur les «aspre difficultà», la «d is
perata impresa»29, qui lui ont «costo la ricerca di ben venti anni»30. Les
rédactions successives, continuellement revues, corrigées et remaniées
de la
Scienza nuova,
témoignent également de ce travail en perpétuelle
évolution, de cette recherche en pieine expérimentation et jamais ache-
vées1. La
Scienza nuova
se présente ainsi aussi bien comme l’exposition
théorique d’une Science nouvelle qu’une Science en train de s’exposer
pratiquement, se risquant, se mettant elle-méme à l’épreuve aux yeux du
lecteur. Cet aspect dynamique, inachevé, n’est en rien une faiblesse, mais
au contraire la condition d ’une science qui progresse dans un monde
complexe et encore inconnu. Ce ròle de la difficulté, son efficacité épis-
témologique est également visible dans la pensée de Gracian:
Guanto mas escondida la razón, y que cuesta mas, hace mas estimado el con
cepto; despiértase con el reparo la atención, solidtase la curiosidad; luego lo ex
quisito de la solución desempena sazonadamente el misterio32.
27 G.VlCO, Lettre à Francesco Saverio Estevan (12.01.1729), in
Opere, 2
voli., a cura di
A. Battistini, Milano, 1990, voi. I, p. 335.
28 Id.,
Princìpi di Scienza nuova d’intorno alla comune natura delle nazioni
1744 (notée
5«44), § 118.
29 Id.,
Princìpi di una Scienza nuova intorno alla natura delle nazioni
1725 (notée
Sn25),
§ § 2 5 ,4 2 ,4 3 .
30
Sn44,
§ 338.
31 Sur l’historique de la
Scienza nuova
et sur le détail des differentes versions et correc-
tions, voir I’étude de P.
CRISTOFOLINI,
Vico et l’histoire,
Paris, 1995, pp. 8-20.
32 B.
G
racl
A
n
,
Agudeza,
Discurso VI, in
OC,
p. 361. On trouve d ’autres passages ayant
la mème tonalité: «L a verdad, cuanto mas dificultosa, es mas agradable, y el conocimiento
que cuesta es mas estimado», Discurso VII, p. 364.