LINCENIUM CHEZ GRACIAN ET VICO
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et cognitive55. Si l’on peut entièrement s’accorder avec Hidalgo-Serna
sur ce point et reconnaìtre avec lui la valeur véritablement philosophique
de
Xingenium
chez Graciàn, conclure en revanche que ce dernier pro
pose une méthode alternative à la raison peut sembler plus discutable,
ce qui met au premier pian la question du statut de
Xingenium.
Il nous
semble en effet que c’est moins la raison que rejette Graciàn qu’un usa-
ge réducteur de cette mème raison. En d ’autres termes, le «rationalisme»
n’est pas, pour reprendre les termes d’Hidalgo-Serna, la mème chose que
la raison et il nous semble ici nécessaire de ne pas identifier la raison et
sa dérive. Ce que rejette Graciàn - et il en va de mème pour Vico, com
me nous verrons bientòt - c’est moins la raison qu’une raison qui se ré-
duirait artificiellement à ses pures procédures logiques et abstraites. En
ce sens, il nous semble discutable de dire que Graciàn «desconfia de la
razón»56. Souligner une dérive réductrice de la raison ne revient pas de
fait à rejeter la raison. De mème, rappeler la valeur philosophique et co
gnitive de
Xingenium,
refuser de le réduire à un simple procédé littérai-
re et esthétique, n’a pas pour conséquence mécanique de mettre la rai
son sous silence. En d’autres termes, nous voudrions montrer ici que c’est
moins une méthode alternative à la raison qui est à l’oeuvre dans la pen
sée de Graciàn qu’une volonté de donner une définition nouvelle de la
raison, plus large, plus complexe, qui met en avant le ròle de
Xingenium.
Nous avons insistè sur ce point, car il apparaìt de manière analogue
dans la pensée de Vico et dans la fa^on dont la critique - en particulier
celle d’E. Grassi - en interprète les principales découvertes. Pour Gras
si, la force de Vico est principalement de mettre la raison entre paren-
thèses57et de promouvoir la force de l’imagination. Cette lecture se fon
de en effet sur les principales découvertes de Vico, en particulier les longs
développements consacrés à la «sapienza poetica»58. Le ròle de la «fan
tasia», les «universali fantastici», les «caratteri poetici» constituent ain-
si selon Grassi le coeur de la pensée vichienne. Si on peut reconnaìtre une
telle lecture et l’originalité des découvertes de Vico, il est en revanche -
comme pour Graciàn - plus difficile d ’en déterminer le statut. La véri-
table fascination que Vico semble éprouver pour ce monde poétique des
«autori delle nazioni» ne doit pas en effet faire oublier le but proprement
55
Ibid.,
p. 98.
56
lbid.,
p. 104.
57 Grassi parie mème d ’un «ripudio del razionale», in
Vico e l’Umanesimo,
cit., pp. 155-
171.
58 La part consacrée à la «sapienza poetica» dans Péconomie de la
Scienza nuova
est de
plus en plus importante au fur et à mesure des divcrses versions et est prépondérante dans
celle de 1744.