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PIERRE GIRARD
épistémologique de son oeuvre, à savoir une Science qui doit ètre com-
prise dans son sens le plus fort. Certes, Vico condamne les abus de la rai­
son, le risque qu’il y a à étendre sans discernement le modèle mathéma-
tique39, les abstractions de la «sapienza riposta», et la danger de la «bar­
barie della riflessione»40. Mais comme cela a été montré, la réflexion n’est
pas la raison, mais qu’une de ses modalités41. La mise en avant de l’ima-
gination, de la force poétique de la pensée des premiers hommes, n’est
en rien une critique de la raison, mais une volonté de montrer, tout au
contraire, que cette dernière ne saurait se réduire à ses procédures pu-
rement logiques et mathématiques. Pour Vico, il ne s’agit pas d ’opposer
«poétique» et «rationnel», mais de montrer une synthèse possible. Le ré-
sultat en est non pas une mise à distance de la raison, mais au contraire
une redéfinition, plus large, plus complexe, de cette faculté42.
Nous avons insistè sur cette idée pour bien montrer que Gracian com­
me Vico ne s’écartent pas de la raison, mais détruisent un modèle ra­
tionnel trop étroit, trop rigide. Dans cette redéfinition, la question de
Xingenium
est centrale, car c’est autour de ce concept que les deux au­
teurs parviennent à donner une extension plus large à la notion de rai­
son. De manière générale,
Xingenium
apparaxt dans les deux cas comme
une réponse à la complexité du monde auquel l’esprit fait face. Une tel-
le perspective semble réunir Gracian et Vico dans une mème attitude de
continuité et de rupture face à la tradition de
Xingenium,
en particulier
la manière dont il apparait chez Huarte de San Juan dans son
Examen
de ingenios para las ciencias
43. Sans entrer dans le détail de ce texte, on
peut, pour résumer, dire que pour Huarte, les naturels, les «ingenios»,
dépendent des équilibres et des combinaisons multiples entre les diffé-
” De rat.,
IV.
40S«44, § 1106.
41 Sur ce point, voir la belle étude d’A.
PoNS,
Vico et la ‘Barbarie de la réflexion’,
in «La
pensée politique», n° 2.
«Ecrire l’histoire du XXe siècle». La politique et la raison,
Paris, 1994,
pp. 178-197.
42 Pour une telle perspective, nous nous permettons de renvoyer à notre article:
Las condi­
ciones y los limites de la racionalidad en la
Scienza nuova.
Las metamorfosis de la razón,
in
«Cuadernos sobre Vico» XIII-XIV (2001-2002), pp. 127-137.
43 Pour un bonne présentation historique de ce texte, voir la longue introduction de Guil-
lermo Serés
à
son édition:
J. I I
uarte
de
S
an
J
uan
,
Examen de ingenios,
Madrid, 1989, pp.
13-131. Sur l’importance de 1
’Examen
et sa diffusion en Italie, voir les études de F.
G
ambin
,
La traduzione e la trasmissione del testo: Juan Huarte de San ]uan,
Esame degli ingegni
a cura
di Raffaele Riccio,
in
Del Tradurre,
a cura di
G .
Bellini, Roma, 1995, voi. II, pp. 97-100; Id.,
Sobre la recepción y difusión en Italia del
Examen de ingenios para las ciencias
de Huarte de
San Juan,
in
Filosofia y literatura en el mundo hispànico,
A. Heredia Soriano-R. Albares Ala-
bares (coord.), Salamanca, 1997, pp. 409-425.
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