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PIERRE GIRARD
‘Ingenium’ facultas est in unum dissita, diversa coniungendi50.
Au-delà des points communs existant entre ces deux définitions, plu-
sieurs idées peuvent étre soulignées.
Premièrement, on remarque que chez nos deux auteurs,
Xingenium
est lié à l’idée de connaissance et de vérité. Cette idée est explicite chez
Vico. Dans un texte généralement peu cité, les
Vici vindiciae,
qui est une
réponse pieine de ressentiment à une recension très critique de la pre­
mière version de la
Scienza nuova
, Vico fait une longue digression sur
1’
ingenium?1.
L’idée centrale développée par Vico dans cette digression
est que
Xingenium
non seulement participe à la découverte de la vérité,
mais qu’il en est la condition principale. Pour Vico, la vérité ne naìt pas
de l’analyse, mais d ’une construction synthétique.
Mingenium
est préci-
sément cette faculté cognitive qui permet de relier entre eux de maniè­
re harmonieuse, «con acconcezza», des éléments qui nous paraissent
a
priori
séparés et hétérogènes. Non seulement
Xingenium
n’est pas op-
posé à la raison mais il est la condition de possibilité de la mise en oeuvre
de son pouvoir synthétique de définition de la vérité.
On retrouve ce ròle de la raison dans
XAgudeza
de Graciàn. Ce der-
nier ne cesse en effet d ’insister sur le ròle de l’entendement, «el enten-
dimiento, pues, corno primera y principal potencia»52. Ce terme «en-
tendimiento» est ici intéressant à doublé titre. D ’une part, le
Diccionario
de Autoridades
le relie directement à Augustin
{De trinitate,
X). Il dé-
signe la puissance conceptuelle et cognitive de l’àme rationnelle. Si l’on
rapporte cette définition à Graciàn, on voit en quel sens il y a rapport
entre entendement et raison, entre concept et raison. D ’autre part, le
Dic­
cionario de Autoridades
établit que «entender» est également employé
dans le sens de «discurrir». Le rapprochement est ici à souligner dans la
mesure où ce dernier terme est employé très fréquemment dans
XAgu­
deza
pour qualifier l’activité de
Xingenio
et donc son aspect rationnel53.
50 G .
Vico,
De antiquissima Italorum sapientia,
in
Operefilosofiche,
a cura di P. Cristofo-
lini, Firenze, 1971, VII, p. 117. Cette définition revient très souvent chez Vico. Voir également
les
Institutiones oratoriae,
les deux
Risposte
(1711,1712), les
Via' vindiciae,
la lettre à France­
sco Saverio Estevan (1729). Pour une étude récente de l
’ingegno
chez Vico, voir M. SANNA,
La «fantasia, che è l’occhio dell’ingegno». La questione della verità e della sua rappresentazione
in Vico,
Napoli, 2001.
51 «D e humano ingenio, acute arguteque dictis et de risu e re nata digressio», in G . VI­
CO,
Vici vindiciae,
in
Operefilosofiche,
cit., pp. 353-359. Une traduction des
Vicivindiciae'par
D. Luglio et B. Périgot vient de sortir en frangais (Paris, 2004).
52 B. G
raci
A
n
,
Agudeza,
Discurso II, p. 317.
53
lbid.,
Discurso XXXV II, p. 633: «Son estas sutilezas examen de un ingenio; es lo mas
que se puede discurrir».
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