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PIERRE C.IRARD
Chez Vico, comme chez Graciàn, une chose ne peut ètre connue et
appréhendée parla simple analyse, par la décomposition de ses éléments
constitutifs. Connaìtre consiste au contraire à mettre à jour des relations,
des synthèses qui relient des «lieux» dans une sorte de tissu topique.
Tanto se requicre en las cosas la circunstancia corno la substancia; antes
bien, lo primero con que topamos no son las essencias de las cosas, sino las
apariencias66.
Le terme «circunstancia» est ici intéressant. Connaìtre une chose, c’est
avant tout connaìtre ses «circonstances», c’est-à-dire déterminer le réseau
topique dans lequel elle s’insère. Vico reprend exactement la mème idée:
per verdeme il tutto [d’une chose], debbe considerarla per tutti i rap
porti ch’ella può mai avere con altre cose dell’universo, e tra quella che vuo
le perfettamente intendere e cose affatto disparate e lontanissime ritrovarsi
all’istante alcuna comunità di ragione, nello che consiste tutta la virtù dell’in
gegno, che è l’unico padre di tutte le invenzioni67.
La méthode de Vico et de Graciàn paraìt ainsi analogue. Pour Vico,
il s ’agit, gràce à la force de l’
ingegno
de mettre à jour la faculté poétique
de création des premiers hommes. Pour Graciàn, il s’agit, dans les longs
développements de
VAgudeza,
d’établir une sorte de combinatoire pos
sible, un tissu topique permettant de saisir et d ’appréhender, à travers le
langage, un monde complexe.
La seconde caractéristique de cet
ingenium
commun à nos deux au
teurs renvoie à son statut de création. «Unico padre di tutte le invenzio
ni» écrit Vico68, 1’
ingenium
ne saurait se limiter à la simple découverte
de ce qui est déjà-là. L’
ingenium
est à la fois faculté de synthèse et de nou-
veauté. Pour illustrer une telle idée, Vico substitue à la «subtilité», qui
est représentée par une ligne, la «pointe» qui est représentée par «deux
lignes qui convergent»69. Dans cette convergence, dans cette synthèse,
apparaìt quelque chose de nouveau qui devient tout à coup possible.
Un des moyens les plus adaptés pour faire naitre cette nouveauté rési-
de dans l’utilisation du paradoxe, commeméthode heuristique. Ce róle mo-
teur du paradoxe apparaìt aussi bien chez Graciàn70que chez Vico. Le pa-
66 Id.,
El Discreto
, XX II, in OC, p. 185. Voir aussi
YOràculo manual
, cit., 14, p. 209.
67 G. Vico,
Lettre à Francesco Saverio Estevan (12.01.1729), cit., p. 331.
68 Sur ce point, voir aussi
De rat.,
V.
69
De rat.,
IV, in
Opere,
cit., pp. 116-117.
70
B.
GraciAn,
Agudeza,
Discurso V: «D e la agudeza de improporción y disonancia»; Dis
curso XIII: «D e los conceptos por desemejanza»; Discurso XX III: «D e la agudeza parado-